« Quand je dis que je travaille à un essai sur la vieillesse, le plus souvent on s’exclame : "Quelle idée ! Mais vous n’êtes pas vieille ! Quel sujet triste…" Voilà justement pourquoi j’écris ce livre : pour briser la conspiration du silence. À l’égard des personnes âgées, la société est non seulement coupable, mais criminelle. Abritée derrière les mythes de l’expansion et de l’abondance, elle traite les vieillards en parias.
Pour concilier cette barbarie avec la morale humaniste qu’elle professe, la classe dominante prend le parti commode de ne pas les considérer comme des hommes ; si on entendait leur voix, on serait obligé de reconnaître que c’est une voix humaine.
Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir, nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que ça ne nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand ça arrivera. Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres. Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir dans les vieilles gens nos semblables.
C’est l’exploitation des travailleurs, c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture réservée à un mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses déshumanisées. Elles montrent que tout est à reprendre, dès le départ. C’est pourquoi la question est si soigneusement passée sous silence ; c’est pourquoi il est nécessaire de briser ce silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider. »
Simone de Beauvoir.
Book details
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Publisher
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Original text
Yes -
Language
French -
Original language
French -
Publication date
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Page count
816 -
Preface author
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Theme
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Collection
About the author
Simone de Beauvoir
Simone de Beauvoir est née à Paris le 9 janvier 1908. Elle fit ses études jusqu'au baccalauréat dans le très catholique cours Désir. Agrégée de philosophie en 1929, elle enseigna à Marseille, à Rouen et à Paris jusqu'en 1943. C'est L'Invitée (1943) qu'on doit considérer comme son véritable début littéraire. Viennent ensuite Le sang des autres (1945), Tous les hommes sont mortels (1946), Les Mandarins (prix Goncourt 1954), Les Belles Images (1966) et La Femme rompue (1968). Simone de Beauvoir a écrit des mémoires où elle nous donne elle-même à connaître sa vie, son œuvre. L'ampleur de l'entreprise autobiographique trouve sa justification, son sens, dans une contradiction essentielle à l'écrivain : choisir lui fut toujours impossible entre le bonheur de vivre et la nécessité d'écrire ; d'une part la splendeur contingente, de l'autre la rigueur salvatrice. Faire de sa propre existence l'objet de son écriture, c'était en partie sortir de ce dilemme. Outre le célèbre Deuxième sexe (1949) devenu l'ouvrage de référence du mouvement féministe mondial, l'œuvre théorique de Simone de Beauvoir comprend de nombreux essais philosophiques ou polémiques. Après la mort de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir a publié La Cérémonie des adieux (1981) et les Lettres au Castor (1983) qui rassemblent une partie de l'abondante correspondance qu'elle reçut de lui. Jusqu'au jour de sa mort, le 14 avril 1986, elle a collaboré activement à la revue fondée par Sartre et elle-même, Les Temps Modernes , et manifesté sous des formes diverses et innombrables sa solidarité avec le féminisme.